Variations Sur Plusieurs Thèmes

You've Changed de Baptiste Trotignon






Au milieu de la quarantaine, l'envie de changements se fait souvent sentir et cela même si l'on est encore très jeune à cet âge. D'ailleurs, c'est la jeunesse d'esprit qui compte. Cette vitalité a permis à Baptiste Trotignon de se poser les bonnes questions. Son dernier album, "You've Changed" est sorti le 8 novembre. Il s'agit de la 3ème galette chez Sony Music et la 16ème en tant que leader ou co-leader. Les moments musicaux sont soit en solo soit en duo avec de prestigieux invités. Le musicien est né le 17 juin 1974 à Paris. Son père était pianiste amateur ce qui fut une influence considérable pour Baptiste. Le grand public le découvrit plus tard en 1995 dans le film "Le Nouveau Monde" d'Alain Corneau dans le rôle d'un pianiste de jazz. Ce fut l'unique apparition de Trotignon au cinéma. A l'époque, il étudiait la musique classique au Conservatoire de Nantes puis commença plus tard le jazz en autodidacte. Avec beaucoup de classe, il a sorti le grand jeu dans ce disque plutôt inhabituel pour cet habitué de la formation en trio. Les compositions se partagent l'affiche aux côtés de reprises bien choisies.

Cela commence avec "I'm A Fool To Want You" en duo avec la chanteuse Camelia Jordana. Magnifique interprétation pour cette ballade subtile et classique. La voix très douce, presque susurrée de Jordana, soft, et simple fait la part belle aux émotions.

"Up For It", à nouveau en duo avec cette fois le très demandé Ibrahim Maalouf à la trompette se veut plus énergique. Le toucher du piano est remarquable et on admire l'aisance technique au clavier.

Plus loin, "Sugar Man" avec Thomas de Pourquery à la voix est une ballade aux allures pop qui sonne comme une complainte. Une ambiance s'installe, une progression s'effectue pour aboutir à une fin délirante comme une explosion.

Avec "Crying Man", le retour en solo se fait de manière superbe. On sent là toutes les influences classiques. Le toucher est à nouveau si délicat. Les modulations et les harmonies sont géniales.

Pour en revenir à la musique classique, "Sarabande - de la Partita no 2 en C mineur - BWV 826" de Jean-Sébastien Bach est d'une interprétation magistrale, précise et sans faille.

"You've Changed" avec Avishai Cohen est calme, sensible. Le trompettiste au son si pur nous guide avec sa mélodie. Les deux virtuoses alternent entre thèmes et improvisation pour notre plus grand bonheur.

Dans "Speed" en solo, la difficulté est au sommet de son art. La rapidité du morceau nous fait penser à la version mythique de "Take The A Train" de Duke Ellington jouée par le regretté Michel Petrucciani. Peut-être un hommage... Le piano se lance dans une course folle. La main gauche avec une basse diabolique conduit tandis que la main droite improvise. La précision rythmique est de rigueur. Il n'est jamais évident de faire deux choses totalement différentes en même temps. C'est comme si le pianiste avait deux cerveaux ou deux mains droites. Cette pièce amusante porte bien son nom.

Le célèbre standard "These Foolish Things" avec le grand Joe Lovano au saxophone ténor est joué dans un tempo medium. Le son est beau et l'atmosphère nous plonge dans une ambiance un peu vieux jazz.

Avec "Welcome Back" et "Do Qui Flotte", les deux en solo, on démarre tout doucement à chaque fois puis on s'enthousiasme au moment de l'improvisation. C'est un peu décousu mais le lyrisme inouïe nous fait oublier ce manque de repères et on se laisse porter par les découvertes harmoniques et mélodiques.

Un merveilleux cadeau nous est offert par Trotignon avec la reprise de l'inoubliable "Here, There and Everywhere" issu de l'album "Revolver" des Beatles. Sublime moment qui reste dans les mémoires.

"Milonga", en solo, nous fait voyager en Argentine. Des effets réalisés à l'intérieur du piano donnent encore plus d'originalité à la pièce.

Dans la continuité de "Milonga", "La Danza", toujours en solo, est plus joyeux, plus entraînant et aussi plus mélodieux. Les accords sont beaux, variés, riches. Les modulations se créent au rythme de cette danse énergique. Par moment, on observe certaines dissonances harmoniques. Le thème principal nous fait penser à la chanson traditionnelle de Noël, "Les Anges de Nos Campagnes". Cela devient plus festif avec notamment des sonorités dans les aiguës puis retour au thème. Excellent!

"Colchique Dans Les Près" c'est la trouvaille de l'album. Une réinterprétation fantastique et difficile de cette ritournelle que tout le monde connaît: Une chanson populaire française de 1942-1943 qui nous vient du scoutisme. Le pianiste, en solo, nous en fait une version géniale qui groove et qui déménage! L'originalité est de mise! Quelle claque!

Plus loin, "Adios" avec Vincent Segal au violoncelle (artiste grandiose), varie entre classique, latino et jazz. Les accords sont très recherchés, les échanges entre les deux protagonistes sont magnifiques. Quelques dissonances s'installent mais sans atténuer la beauté de l'oeuvre. Ensuite cela devient beaucoup plus dynamique avant un retour à la douceur en guise de conclusion. Énorme!

Pour terminer, "Epilogue", en solo, est une ballade douce qui sonne un peu comme une berceuse. On se remémore "Baby Waltz", fabuleuse composition de son deuxième disque "Sightseeing" en 2001.

Il en ressort un album original qui ne laisse pas indifférent. Baptiste Trotignon est un des pianistes les plus brillants de sa génération. Mention spéciale à "You've Changed" pour sa justesse et à "Colchique Dans Les Près" pour son originalité folle. Les différents changements font que l'on ne s'ennuie pas un seul instant avec soit des solos dantesques soit des duos d'anthologie. Le manège tourne, tourne, tourne, sur plusieurs thèmes variés.

Poulos



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