Attention Prodige!

Warna de Joey Alexander






Le syndrome Mozart peut soit agacer soit émerveiller. En l'occurrence, avec Joey Alexander (de son vrai nom Josiah Alexander Sila), il s'agit plutôt d'illumination. Un génie précoce comme on en rencontre peu dans le jazz en tout cas à cet âge là. En effet, quelle maturité musicale pour quelqu'un de 16 ans! Le jeune indonésien qui est né le 25 juin 2003 à Denpasar sur l'île de Bali, a sorti un dernier album, "Warna" le 31 janvier 2020 sur le label Motéma Music. Déjà le cinquième disque à son actif. Sur celui-ci il s'est entouré de la crème de la crème puisqu'il est accompagné par Larry Grenadier qui est le contrebassiste attitré de Brad Mehldau et qui figurait déjà sur le premier opus de l'artiste et par Kendrick Scott à la batterie que l'on a déjà pu voir aux côtés de Gretchen Parlato, Charles Lloyd et Terence Blanchard.

La formule du trio est certainement l'une des plus belles pour un pianiste et ce qui est saisissant c'est l'identité déjà présente et pas qu'un petit peu. La galette s'ouvre avec "Warna", titre de l'album qui signifie "couleur" dans la langue natale d'Alexander. D'entrée, l'équilibre est au rendez-vous, le son est juste, la rythmique précise, la virtuosité hallucinante. Un premier morceau qui déménage et dont l'énergie nous rappelle une certaine Hiromi. La percussion de Kendrick Scott apporte encore plus de dynamisme à l'oeuvre notamment lors de son solo éblouissant à la fin de la pièce.

Avec "Mosaic" (Of Beauty), le tempo ralentit histoire de reprendre un peu son souffle. Une mélodie chaloupée nous entraîne dans une finesse qui fait penser à Ahmad Jamal.

Les compositions sont complexes et font la part belle au rythme comme dans "Lonely Streets" ou "Downtime" aux allures pop-rock et une façon un peu gospel de balancer les accords à l'image d'un Keith Jarrett. Malgré les nombreuses influences, Joey Alexander s'est forgé son propre style jouant des notes qui respirent la joie et qui résonnent au son de l'émotion.

Plus loin, "Affirmation I" commence sous la forme d'une ballade au lyrisme magnifique puis un groove s'installe et on peut admirer l'immense technique du clavier en solo.

Le trio revient en grande pompe sur "Inner Urge" dans lequel les musiciens s'amusent. Larry Grenadier nous offre une improvisation dont il a le secret au cœur du morceau. La rondeur du son est comparable à du velours.

"We Here" apparaît comme un enchantement. On se laisse emporter par la merveilleuse flûtiste Anne Drummond qui nous fait voyager de bout en bout. La mélodie et les harmonies sont originales, recherchées et un romantisme qui fait du bien émane de cette composition. Peut-être le chef-d'oeuvre de l'album. Fabuleux!

Avec "Tis Our Prayer", une histoire nous est contée. Si on ferme les yeux, les scènes d'un film surgissent. Une solennité de tous les instants fait de cette prière un moment unique.

Et que dire de "Fragile", lumineuse reprise de Sting? Un mélange jazz-pop-latino qui sied bien à l'oeuvre. C'est à la fois léger et festif. La fragilité s'habille de force et de solidité et cela la rend encore plus belle.

"Our Story" nous donne envie de danser. La subtilité se marie avec l'enthousiasme. Quel bonheur!

Plus loin, "Affirmation III" se veut une ode à la liberté. Les membres du groupe dialoguent, partagent, échangent et se laissent complètement aller à une folie douce, pétillante et quelque peu abstraite.

Pour terminer, "The Light" marque le grand retour d'Anne Drummond à la flûte traversière. Une sensibilité allié à une magie qui ouvre la porte à un dialogue d'une beauté inouïe. Idéal pour conclure.

Ce disque est une énorme claque! Une grande réussite qui laisse présager un avenir des plus somptueux à Joey Alexander d'autant plus qu'il n'a "que" 16 ans et qu'il est encore amené à progresser, évoluer. La maturité est omniprésente et la sagesse veille. Mention spéciale à "We Here" pour l'extraordinaire présence d'Anne Drummond. (La native de Seattle si lumineuse y joue les invités de prestige... oui je sais... j'adore la flûte traversière!) et à "Fragile", cover superbement réinterprétée. On se réjouit déjà des suites des aventures de Joey Alexander. Mesdames et Messieurs, veuillez faire attention à ce prodige!

Poulos



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