En toile de fond

From This Place de Pat Metheny






La légende Pat Metheny (de son vrai nom Patrick Bruce Metheny) est de retour après pratiquement 6 ans d'absence en matière d'enregistrement (il reste malgré tout très actif au niveau des concerts). En effet, le dernier, "Kin" du Pat Metheny Unity Group, date de 2014. Le guitariste, né le 12 août 1954 à Lee's Summit dans le Missouri, demeure une icône dans son instrument voire pour beaucoup LA référence en ce qui concerne le jazz. L'homme au t-shirt marin rayé a signé les dix compositions de cet album sorti le 21 février 2020 sur le label Nonesuch Records et intitulé "From This Place". Il s'est entouré d'Antonio Sanchez à la batterie, de la lumineuse contrebassiste malaisienne-australienne Linda May Han Oh (qui a notamment joué avec Dave Douglas), du pianiste britannique Gwilym Simcock ainsi que de l'orchestre symphonique Hollywood Studio dirigé par Joel McNeely. Des invités de prestige comme Meshell Ndegeocello à la voix, Grégoire Maret à l'harmonica et Luis Conte aux percussions rejoignent les musiciens sur le titre "From This Place". Le Genevois Grégoire Maret joue aussi sur "The Past in Us".

Les cordes surgissent d'entrée sur "America Undefined". Les violons forment une combinaison avec la guitare de Metheny. L'ensemble sonne comme une musique de film avec une pointe de jazz-pop et une mélodie progressive. Par la suite, Gwilym Simcock, doté d'une redoutable technique, se lance dans un solo de piano éblouissant. Metheny, fidèle à lui-même, reste cool dans sa façon de jouer. Le côté inventif semble cependant s'être perdu au regard de l'oeuvre. J'aurai l'occasion d'y revenir. Le morceau se termine par un retour au thème puis des impressions de l'orchestre.

"Wide and Far" se veut un peu plus énergique. Une pièce qui fait penser à un standard. Le tout dans le même état d'esprit.

Sur "You Are", le tempo ralentit et on se laisse bercer par cette ballade exquise et relaxante. L'ouverture au piano avec une pointe de romantisme est somptueuse. Les harmonies sont variées, recherchées. Quelle heureuse idée de changer entre accords mineurs et majeurs! Une atmosphère digne de Radiohead s'installe! L'évolution est magnifique puis arrivé au sommet, le retour au thème s'opère comme par enchantement.

Plus loin, "Same River" et "Pathmaker" ressemblent aux deux premiers morceaux. Le style est un peu répétitif et on aurait souhaité plus surtout venant d'artistes aussi visionnaires.

"The Past in Us" est une ballade aux allures pop, plus sobre que "You Are" et qui fait la part belle à l'interprétation et l'improvisation de Gregoire Maret. La couleur de l'harmonica est magique!

On change complètement avec "Everything Explained". Une grande énergie est déployée tout au long de la pièce dans une atmosphère rock et un arrangement légèrement latin. La percussion du piano et la rythmique de la batterie nous entraînent et nous font vibrer!

Meshell Ndegeocello pose sa voix sur "From This Place", titre de l'album. Le début est solennel à l'image d'une prière. Les nappes nous font passer ensuite d'un Ave Maria à une mélodie pop-folk. Cette composition nous rappelle "Bridge Over Troubled Water" de Simon et Garfunkel.

Avec "Sixty-Six", l'ambiance des premières plages se fait entendre. L'excellente Linda Oh nous fait voyager au cours d'un solo merveilleux et mémorable. C'est technique, fluide, rythmé, riche. La contrebassiste à le don de raconter une histoire au fil des notes.

Le disque se conclut par "Love May Take Awhile", ballade jazz-pop teintée de tradition.

En résumé, c'est comme quand un génie des petites formations s'associe à un grand ensemble ce qu'il n'a pas ou peu la possibilité de faire et que le changement déplaît. Par exemple, les premiers albums très intimes de Diana Krall en trio sont différents des suivants avec... un grand orchestre symphonique lourd et imposant. Malgré la justesse omniprésente, on perd de son originalité. C'est ce qui se produit ici avec l'ajout des cordes. Sans parler de l'empreinte langoureuse et sirupeuse. Pour rappel, ce n'est pas dans les habitudes de la maison. Pat Metheny s'est jusqu'à présent toujours renouvelé. Le guitariste est passé Maître en innovation. Ses compositions sur cet album sonnent comme une musique de film. Par contre, il est difficile de réaliser une bonne musique de film et il faut faire très attention à ne pas tomber dans le plagiat de sa cousine classique (et il est aussi difficile de faire une bonne musique classique). J'aurais donc aimé rencontrer plus d'émotions. Les variations se trouvent certes dans l'apparition des guests mais c'est bien peu. J'ai du mal à me montrer attentif à l'écoute. Je reste sur ma faim malgré la virtuosité des musiciens (pourtant, la pochette de l'album était accrocheuse et laissait présager de biens meilleures choses).  Malgré tout, mention spéciale à "You Are", petite perle bien seule, et à "Everything Explained" pour son dynamisme rare.  Cette dernière séance correcte se visionne au loin. Sur la guitare noire de ses nuits blanches, Pat Metheny nous fait entendre une musique en toile de fond.

Poulos



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