L'Homme Aux Tableaux


53 de Jacky Terrasson






Comme un symbole, c'est lors de son 53ème anniversaire que l'excellent Jacky Terrasson (de son vrai nom Jacques-Laurent Terrasson) a sorti le 27 septembre, "53", son dernier opus qui fait référence à son âge. Durant cette année, il nous a concocté un album riche de 16 morceaux variés et magnifiques. Le pianiste né le 27 novembre 1965 à Berlin de mère américaine et de père français nous dévoile toute l'étendue de son talent à travers des compositions originales et subtiles. Dans ce 15ème album en tant que leader, l'artiste a trois rythmiques différentes pour l'accompagner. L'élégance frappe à notre porte. Laissons la entrer sans tarder.

Tout commence par "Nausica", sublime ballade douce, romantique qui fait une grande place au toucher si délicat du musicien.

On enchaîne avec "Kiss Jannett For Me" aux accents gospel et "jarrettiens" le tout sur un groove superbe à la contrebasse. S'ensuit une deuxième partie qui module au piano avec une improvisation qui sort de l'harmonie par le biais d'accords impressionnistes et dissonants. Terrasson prend son envol et on décolle avec lui.

Plus loin, on trouve un arrangement du Lacrimosa du Requiem de Mozart, seule reprise du disque. Cette musique sacrée d'une beauté inouïe est jouée de façon solennelle comme une prière. On regrette que cela ne dure pas plus longtemps. Cette courte introduction nous transporte au delà de tous nos rêves.

Arrive le moment de "La Part Des Anges". Quelle merveilleuse ballade. Ce qui frappe c'est l'équilibre entre les musiciens, le lyrisme hallucinant de la main droite du piano, les nuances tendrement exagérées. Tout est dans la retenue! C'est ce qui fait respirer l'oeuvre et lui donne cette sensibilité.

Une deuxième écoute de ce morceau voit le jour avec "La Part Des Anges - Reprise". La différence s'articule autour d'une voix parlée, un slam doux, lent et fabuleux.

La suite est un peu plus énergique avec le contrasté "Mirror" qui s'ouvre sur un solo de batterie. Cela groove à fond, la virtuosité est au rendez-vous et les couleurs graves portent le tout. Puis on vire ballade quelques secondes pour à nouveau partir plus vite. Dernier changement pour terminer avec la composition de manière tranquille.

"Blues En Femmes Majeures" nous saisit par l'originalité de son titre plein d'humour façon Erik Satie. Il s'agit d'un blues classique avec un swing fou à la basse et des accords typiques à cette musique. La mélodie tordue sort de l'harmonie à l'image d'un Thelonious Monk.

Avec "Palindrome", on ressent toutes les influences classiques de Terrasson au début.
Puis un rythme mélangeant à la fois jazz-pop-latino s'installe. Des voix s'ajoutent donnant encore plus d'âme au morceau.

Charlie Haden aurait très certainement apprécié "Resilience" à tel point cette pièce lui ressemble. La mélodie commence au piano puis arrive un solo à la contrebasse ensuite Terrasson comme dans un enchantement improvise à son tour et reprend le thème pour conclure. Peut-être le chef-d'oeuvre de l'album.

Le disque se poursuit avec "Babyplum", medium-pop moderne tantôt Michael Jackson tantôt blues. Plusieurs modulations interviennent au niveau de la mélodie ce qui donne une bonne variation. La contrebasse enchaîne avec une improvisation courte puis reprise du thème au piano avant de s'éteindre doucement.

Le chemin inverse nous est proposé avec "Alma" qui démarre comme une ballade le tout sous l'accompagnement très mélodieux de la contrebasse servant ici de guide. Les doubles voix du piano se font entendre et nous amènent à une deuxième partie aux accents pop. Tout simplement magique!

On peut trouver certaines similitudes entre "The Call" et "My Lys". En effet, le premier est un latin à la sauce Jamal et il porte bien son nom car on répond tout de suite à cet appel léger, fluide. La virtuosité classique s'allie à la musique latine aux phrasés si joyeux.
Le second est une bossa cool, agréable. Un latin-jazz qui illumine par sa joie, son côté pétillant, sa mélodie enjouée, son lyrisme absolu. La technique est une fois de plus excellente. On s'enthousiasme à l'écoute de cette tradition mixée au modernisme. Le toucher est fabuleux et précis.

Soudain surgit l'ovni de cet album: le très pop "This Is Mine". L'énergie déployée ici nous rappelle Peter Gabriel. Quelle pêche! Des accords dissonants se mêlent au dynamisme de cette création énorme. Les envolées s'enchaînent et on se rappelle au bon souvenir de "Smile" de Charlie Chaplin que Jacky Terrasson avait réinterprété il y a quelques années avec la même folie. L'ambiance est vraiment délirante!

Plus loin, le très enlevé "Jump" sent bon le swing. Le piano se veut aérien.

Pour terminer, le très court "What Happens Au 6ème" nous accueil à bras ouverts avec son groove à la main gauche puis ses impressions simultanées au clavier et à la batterie.

A l'écoute de cet opus aux nombreuses plages, deux mots se promènent dans mon esprit: équilibre et couleurs (au pluriel car il y en plusieurs). Équilibre car tel un éternel funambule, Jacky Terrasson danse, saute, jubile. Les musiciens, extraordinaires faiseurs de sons, jouent tous avec une précision redoutable, une technique éblouissante, une rythmique diabolique et des nuances omniprésentes. L'équilibre et la respiration se trouvent au coeur de cette symphonie.

Couleurs car personnellement je vois la musique comme une peinture avec ses différentes couleurs en guise de notes. Celles des émotions à travers plusieurs styles riches qui font de Jacky Terrasson un Homme Aux Tableaux.

Poulos


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