Le disque qu'il faut avoir dans son Répète Voir...Quoi? Répertoire? Covered de Robert Glasper

Coller à notre temps





Rarement un pianiste aura reflété l'univers musical de son époque et ses mixages. Robert Glasper, né le 5 avril 1978 à Houston (Texas) y est toujours parvenu. Le hip-hop, le funk, la soul, le gospel, la house, la pop, le rock sont autant de styles qui ont influencé l'artiste qui fut bercé très tôt par les voix puisque sa mère était chanteuse de jazz et de blues.
Le terme de Neo Soul a même été utilisé pour qualifier ce courant moderne qui mélange la soul des années 70 avec le jazz et les musiques citées ci-dessus. Ce qui frappe, en plus du mariage des genres, c'est la richesse harmonique. J'en parlerai en détail un peu plus loin. "Neo" pour "new" et donc rien à voir avec Matrix même si les improvisations de haut vol ainsi que les interprétations révolutionnaires font de Robert Glasper un "élu" dans l'histoire du jazz.

L'album "Covered" The Robert Glasper Trio Live at Capitol Studios est la 8ème galette du pianiste de 41 ans. Il a été enregistré en trio (hormis quelques invités sur certaines plages) les 2 et 3 décembre 2014 à Los Angeles sur le légendaire label Blue Note avec pour accompagner Glasper, Vicente Archer, 43 ans à la contrebasse (dont on a pu voir le portrait récemment dans un magnifique documentaire de la série "The Sound of New-York" sur la chaîne Mezzo) et Damien Reid, 40 ans à la batterie (musicien fidèle compagnon de route du pianiste depuis ses débuts). "Covered" est produit et arrangé par Robert Glasper avec 11 morceaux: 8 reprises et 3 compositions. Ces pièces sont la réunion des albums précédents de Rob G (son surnom).

Le CD commence avec le magnifique "I don't even care" co-composé avec Macy Gray et John Gray. La batterie d'une précision diabolique donne l'impression d'une boîte à rythme et on est vite entraîné par un côté jungle donnée par celle-ci. Une ambiance jazz-électro s'installe dans une attitude cool.

Le rock et la  pop ont un fort impact sur le trio avec notamment "Reckoner" de Radiohead issu de l'album "In Rainbows" du groupe superbement réarrangé et "Barangrill" de Joni Mitchell.

Plus loin, le merveilleux "So Beautiful" de Lee Huston, Jr et Taalib Johnson (alias Musiq Soulchild, rappeur invité sur ce morceau) entendu dans "Black Radio" nous montre toute l'étendue harmonique de Glasper. L'originalité de ses accords est l'essence même de son jeu.Certains les trouveront tordus et d'autres innovateurs. Personnellement, je trouve que cela sonne merveilleusement bien.

Je vais d'ailleurs ouvrir une minuscule parenthèse à ce sujet. Les connaisseurs comprendront qu'il est difficile de résumer en si peu de mots un style et les non initiés seront peut-être épuisés par une trop longue lecture technique. Robert Glasper utilise souvent pour ses improvisations de la main droite le mode dorien. Si vous prenez la gamme de do majeur et que vous la faites commencer par la note ré soit un ton plus haut avec l'utilisation des même notes vous obtiendrez le mode dorien de ré. Une autre explication c'est de se dire qu'il y a cette fois en montant depuis do une tierce mineure et une septième mineure comme propriétés et obtiendra à ce moment là un mode de do dorien. J'ai préféré commencer par le premier exemple.
Euh...tu "dors" ou tu comprends "rien"? Au niveau des phrases, on observe des répétitions de séquences de 8 notes jouées en croche à la main droite. Ces dernières revenant un demi ton plus bas lors de la mesure suivante avec au même moment à la main gauche un enchaînement chromatique descendant et une utilisation d'accords mineurs 9.  Pour continuer avec la main gauche, Glasper utilise souvent des accords de sus 4 qui se marient justement très bien avec le mode dorien. En restant dans l'harmonie, on remarque que le pianiste emploie de manière fréquente des intervalles de seconde que cela soit au début ou à la fin de l'accord (en bas ou en haut). Cela a pour but de pimenter l'ensemble par le biais de frottements et autres dissonances. Fin de la partie technique.

Vers la fin de l'album, nous avons le plaisir d'écouter un "Stella by Starlight" dans un tempo médium. La fin du standard est jouée à la main gauche en triade(technique, "the" retour!Accords de trois notes ici jouées en arpèges c'est-à-dire les unes après les autres...je vous passes le détail des variations compliquées) dans une improvisation géniale où le jazz rencontre la musique de film. Emporté par son élan, le pianiste nous lie directement à la pièce suivante qui est "Levels" écrit par Bilal artiste neo-soul (nouveau genre référencé en début d'article). Le morceau est une ballade jazz-pop très belle, douce et fabuleuse.

Mention spéciale au merveilleux "So Beautiful" qui à mon sens symbolise le mieux la musique de Robert Glasper et de son trio.
Cet enregistrement est plus intimiste, plus chaleureux, plus calme (le côté trio acoustique) que les précédents mais il en demeure d'une richesse et d'une beauté inouïe. Un jazz teinté de musiques d'aujourd'hui et une originalité à toute épreuve pour coller à notre temps.

Poulos








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