Toute l'Histoire de la Musique et du Piano en un seul album de Prestige

Spectrum d'Hiromi







A l'heure où j'écris, Hiromi Uehara est en train d'illuminer le Victoria Hall de Genève de sa virtuosité et de sa sensibilité. "Spectrum", sorti le 18 septembre 2019 est le 12ème album de la pianiste japonaise née le 26 mars 1979. Ce chef-d'oeuvre est joué en piano solo. Tel un funambule, Hiromi nous envoûte à chaque instant multipliant les nombreuses couleurs de sa palette sonore. Parmi les neuf pièces du disque, nous trouvons sept compositions et deux reprises pour notre plus grand bonheur. A l'état pur et sans artifice.

On entend tous les styles comme par exemple le blues avec le morceau "Yellow Wurlitzer Blues" qui déploie déjà une énergie folle. La musique de l'artiste en est très souvent imprégnée. Ses accents tonifient encore plus ses mélodies.

Que dire alors de "Whiteout"!Une ballade sublime aux inspirations classiques. Il y a un mélange de Beethoven et Chopin au début. C'est doux et extraordinairement romantique. Puis le rythme s'accélère, le morceau s'emballe nous entraînant dans un tempo medium qui nous fait planer comme dans un rêve éveillé. Un parfum d'Asie se mariant élégamment à des musiques de film qui ne sont pas sans rappeler celles de Joe Hisaishi des longs métrages de Miyazaki. Une énorme virtuosité digne des plus grands du Classique se met au service d'une improvisation qui tient une place toujours centrale et oh combien importante. Cette dernière alterne entre modes mineurs et majeurs.

Le titre "Spectrum" qui est aussi celui de la galette se veut encore plus dynamique. Une pêche habituelle chez la native d'Hamamatsu qui mixe ici jazz et pop. La main gauche joue une basse qui nous guide pendant que la main droite si aérienne s'amuse, se promène, s'éclate, virevolte. On est abasourdi par tant de maîtrise.

C'est quand on croyait avoir tout vu et tout écouté que surgit "Kaleidoscope". Cette composition commence par un côté plus abstrait qui nous fait presque penser à de l'electro puis on s'emballe à nouveau dans une folie incroyable. Au premier abord, il a l'air moins fou que le précédant mais nettement plus intéressant de par l'originalité de ses harmonies et de ses mélodies. Sans oublier l'omniprésence phénoménale de la main gauche. Une modernité absolue émerge de cette pièce.Il y a aussi des nuances inouïes notamment dans les ultimes minutes avec des croches répétées à la main gauche et au même moment une improvisation légère à la main droite.

Plus loin, "Mr CC" est un ragtime ultra difficile à réaliser. La précision, l'immense régularité est une nouvelle fois au rendez-vous dans cet hommage au vieux jazz qui respire la joie à l'image de son interprète.

Au chapitre des reprises, le trop rare et magnifique "Blackbird" de Lennon-McCartney (jusqu'à présent je l'avais entendu uniquement par Brad Mehldau dans le jazz sur son album "The Art of the Trio volume 1") nous inonde par sa fluidité. Le toucher est exquis et l'oiseau vole, vole, vole encore plus loin et plus haut. Hiromi en fait une version très personnelle et nous gratifie de beaux accords recherchés, variés, originaux. Des trouvailles qui nous rappellent la regrettée Geri Allen.

S'ensuit "Sepia Effect": petite perle merveilleuse. Un récit poétique qui marie tous les éléments. Une Hiromi en feu improvise une nouvelle fois avec une délicatesse aquatique. Les flocons de neige, les gouttes de pluie tombent sur ces modulations sans borne et nous plongent dans une imagination infinie. On sent aussi par moment une influence d'Ennio Morricone dans les arrangements. Après coup, une plus grande vigueur intervient pour un retour plus doux à la fin avec le thème.

Il y a encore une ode longue et variée à George Gershwin dans "Rhapsody in Various Shades Of Blue - Medley". On est pas surpris par ce choix équilibré entre jazz et classique. Deux mondes pas si éloignés si chers à la pianiste.

Pour terminer, "Once in a Blue Moon" est juste une grande claque. Un tempo medium au début puis beaucoup plus rythmé. C'est plus que très beau. L'harmonie est plus pop puis l'improvisation démente dans un rock à mi chemin entre Nirvana et Radiohead qui arrive à deux reprises entre la douce mélodie principale.

Quand je vous disais qu'il y avait toutes les musiques! En plus, ce n'est pas seulement technique car le toucher est somptueux, les nuances insatiables nous bercent. Installez vous confortablement et laissez-vous emporter par le prestige qui s'incarne dans ce seul album.

Poulos




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