Perplexité Urbaine

Fuck Yo Feelings de Robert Glasper







Dès les premières notes on est plongé dans un univers rap le tout porté par des rythmes entraînants mais qui deviennent très vite répétitifs. Le dernier album de Robert Glasper intitulé "Fuck Yo Feelings" est sorti le 21 janvier 2020 sur le label Loma Vista Recordings. Un disque qui bouge sans pour autant nous faire transpirer et qui fait la part belle (ou pas...) aux musiques urbaines chères à l'artiste. L'un des pianistes les plus inventifs de sa génération s'est entouré de plusieurs invités issus de la culture hip-hop (et jazz avec une minuscule apparition d'Herbie Hancock pour un petit délire sur "Trade In Bars Yo").

La galette démarre avec le bien nommé "Intro" en compagnie d'Affion Crockett. L'ambiance est cool mais il règne dans l'atmosphère un air de déjà vu.

Pourtant les morceaux sont extrêmement bien arrangés. L'audition est plaisante malgré un côté trop conventionnel.

Plus loin, "Gone" laisse Glasper s'en donner à coeur joie sur son clavier à la fois comme accompagnateur et improvisateur. A noter que c'est une des rares fois où il est mis en évidence.

"Let Me In" et le très court "In Case You Forgot", tous deux interprétés au Fender Rhodes, se veulent légers, subtils avec des sonorités plus chaudes et plus rondes. Les accords sont variés, recherchés et les percussions ajoutent un peu plus d'énergie. Oui mais on recherche toujours un certain Phil. Son nom de famille c'est Conducteur.

Avec "Indulging In Such", on atterrit dans un genre plus electro et la batterie se déchaîne. Une pièce libre, abstraite dont le dynamisme prononcé ne finit pas par calmer nos ardeurs.

Le titre de l'album, "Fuck Yo Feelings" nous donne l'occasion d'entendre la belle voix de la chanteuse Yebba. Une composition plus mélodieuse. Les choeurs joliment orchestrés répondent à la soliste et aux musiciens ce qui procure une fois n'est pas coutume plus d'émotion à l'arrivée. Puis vient "Endangered Black Woman" qui ressemble étrangement au précédent mais avec cette fois Andra Day au chant et Staceyann Chin dans le rôle de poétesse vocale.

Malheureusement, les plages récurrentes abondent que cela soit avec "Expectations" ou "All I Do" (et cela malgré la présence du piano acoustique sur ce dernier morceau) ou pour les autres pièces.

Il y a des compositions à l'image de "Sunshine" qui paraissaient prometteuses mais ce ne sont que de brefs interludes. Un bon disque n'est pas une succession de petites séquences quelles que soient leurs qualités.

"Liquid Swords" au piano dure plus longtemps mais un côté bizarre allié à une absence de repères n'enchante pas d'avantage nos petites oreilles. Il en va de même pour "DAF FTF".

Le retour des voix sur le pompeux "Treal" n'arrange pas nos affaires. Le fil rouge n'est toujours pas au rendez-vous.

Au final, l'ensemble partait bien et on se réjouissait mais il s'avère très décevant. On attendait beaucoup mieux d'un des pianiste les plus créatifs et innovateurs (il a révolutionné l'harmonie) de ces vingts dernières années. Je reste grandement sur ma faim. Le fabuleux "Covered" enregistré live en 2015 aux Capitol Studios paraît bien loin. Le jazz a hélas eu le temps de partir en voyage. Robert Glasper joue ici les sidemen de luxe dans un album hip-hop au son certes correct et bien exécuté mais qui dans le fond ressemble plus à une bonne musique d'accompagnement. Ce que je veux dire par là c'est que l'on ne va pas s'attarder au niveau de l'écoute ou se concentrer plus qu'il n'en faut. Il y a être en retrait et être en retrait. "R+R=NOW" était génial. Il y avait un concept et on s'y retrouvait. Ce qui manque ici et nous enlise dans les méandres d'une perplexité urbaine.

Poulos



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